19/08/2010
Marité, ma soeur volée ? (1963)
C’est à l’été 1963, où mes parents traversaient une telle mauvaise passe financière qu’ils avaient décidé de plus ou moins sacrifier leurs vacances. Juillet pour eux à Paris, le mois d’août à trois dans un grenier aménagé en Ardèche. Pour moi, je devais partir en camp scout durant 3 semaines, descendre en radeau la rivière la Loue dans le Haut-Doubs. Sans savoir que ce sera à moins de 5km de là que, 47 ans plus tard, je prendrai ma retraite !
Toute l'année nous avions travaillé à ce camp, et juste avant de partir, je chopai la grippe.
Adieu donc la belle vallée riante de la Loue, bonjour la loge étriquée du 60 rue de la Victoire....
Les prix d'excellence à la pelle étaient loin derrière, j'étais passé en quatrième - à 12 ans quand même - , mais au prix de pas mal d'efforts et il me fallait absolument décompresser, aller au soleil. Déjà assez rachitique, je perdis complètement mon appétit, ce qui inquiéta mes parents.
Mon père eut alors une idée. Il connaissait une «ancienne collègue» à lui qui habitait Toulon, et lui demanda si je pouvais passer le restant de juillet là-bas. Elle accepta, moi je trépignais de joie ! Déjà quitter cette grisaille parisienne, c’était génial, mais en plus sur la côte d’Azur…
Et, vers le 10, me voilà là-bas.
Au début ça se passe mal, je ne m’entends pas du tout avec le gamin de la famille – un Patrick aussi – et j’en suis carrément à regretter mon pigeonnier. En plus la mère de la dame est avec nous, et c'est visible, elle ne peut pas m'encaisser...
Et puis, la fameuse dame me dit qu’elle va faire venir sa fille de 8 ans, Marité.
Là encore je ne vois pas ça d’un très bon œil, les filles c’est pas trop mon truc, elles ne savent même pas qui est Bob Morane et elles sautent à la corde pendant des heures…
Mais bon, on verra bien !
Pour voir, je vois ! Je suis scotché, littéralement scotché quand je l’aperçois. Petite blonde avec un accent Toulonnais qui achève de me faire craquer. Apparemment de son côté je n’ai pas l’air de lui déplaire non plus. Les bruns aux yeux verts semblent être sa tasse de thé…
Et pendant les trois semaines qui vont suivre, je vais me sentir « bien », vraiment « bien ».
On ne se quittera plus, dormirons dans le même lit, serons lavés ensemble par sa mère, jouerons des parties de «menteur» interminables…
Je lui ferai même participer à des jeux de quartier, et souvent on bravera l’interdiction de ne pas dépasser le pont de chemin de fer, la ligne de Marseille à Nice où filent à toute allure les trains à vapeur.
Mais quand même, je lui trouve des attitudes «bizarres». Comme celle par exemple de me faire sans cesse des petits bisous, et souvent sur la bouche. Elle me dit aussi «quand on sera grands on se mariera ensemble»…
Je le rappelle, j’ai 12 ans, avec de surcroît une maturité sentimentale de 6 ou 7, et je suis presque affolé devant ses démonstrations, même si je sens - j'ignore pourquoi - une sorte de miel me couler dans la gorge…
Et finit par arriver le jour de la séparation. Elle doit partir en colo vers Perpignan, moi en Ardèche. On prend le même train jusqu’à Nîmes, et elle n’arrête pas de pleurer. Impossible de lui faire dire pourquoi.
Ah les filles…compliqué !
A Nîmes, très décontracté, je lui dis au-revoir en lui promettant de lui écrire. Elle sanglote de plus en plus fort en m’envoyant un bisou. Le dernier. Je grimpe alors dans le « Cévenol » bondé, et en gare d’Alès je peux enfin me hisser sur le wagon panoramique. Marité est déjà loin…
Ce mois d’août dans un village paumé à 1200 m d’altitude, sous le vent, la pluie et le froid, ne restera pas dans les annales, sauf peut-être celle de la météorologie, et du coup, ma mère décide de finir les vacances à Valréas, dans le Vaucluse, chez sa sœur. A ce moment–là, je ne pense presque plus à ma petite compagne de jeux.
Quand on arrive là-bas, à même pas 75 km à vol d'oiseau, on a l’impression d’avoir pris l’avion !
Nous venions de quitter un triste plateau balayé par la pluie et le vent, où les 10 degrés en journée étaient la règle, pour nous retrouver dans une ambiance provençale. Comme celle de Toulon.
Et là…
La chaleur, les cigales, l’accent des gens, les odeurs surtout. Oui, comme à Toulon. Ca m’explose littéralement dans la poire.
Marité.
A partir de ce jour je ne vais plus penser qu’à elle. Je me surprends moi-même, ignorant totalement ce qui m’arrive. Moi, celui qui ne tient pas en place, je vais devenir le contemplatif total, je vais marcher des heures entières dans les rues de la ville en pensant à ma petite blonde.
Bien évidemment je n’en parle à personne. Je m’empresse de lui écrire une lettre, puis deux, pas de réponse.
A Paris, pensant toujours à elle malgré le changement d’ambiance et de climat, je continue à lui envoyer des lettres.
Jusqu’au jour où mon père, l’air grave, me prend à part et me dit « il ne faut plus que tu écrives à Marité, de toutes façons elle ne te répondra pas ».
Les années passent.
Je rencontre des filles. Je pense même être amoureux. Mais Marité reste en moi, je ne sais pas pourquoi.
En 1967, 4 ans après, j’ai 16 ans. J’arrive à décrocher une semaine à Toulon chez un oncle. Ces 8 jours seront exclusivement passés à « sa » recherche. Bien entendu la première chose que je fais est de me rendre dans «notre» quartier, Darboussèdes. Mais là on me dit, que la famille à déménagé, suite à un deuil, et habite désormais à La Seyne, Lotissement Peyron. Je vais passer toute la Seyne au peigne fin, je n’arriverai jamais à trouver ce fameux lotissement Peyron....
Et je rentrerai à Paris bredouille...
Fin ? Non.
J'apprendrai par la suite que la "collègue" de mon père avait été sa maîtresse dans le temps.
En février 2005, ma femme prospecte parmi les affaires ramenées de chez mon père. Et là elle tombe sur une feuille de journal jaunie, très méticuleusement protégée.
Elle date de juillet 63, et sur une photo on voit des gamins, dont… Marité et moi.
Habillés exactement de la même façon.
J’ignorais totalement que d’une part existait une photo de nous deux, et surtout que mon père la gardait si précieusement.
Bien entendu quand je passe le voir un mois plus tard je lui montre le bout de journal. A tout hasard…
Et alors il est devenu blanc comme un linge, répétant sans cesse « je n’en reviens pas, je n’en reviens pas »
Je n'en saurai pas plus, il décèdera peu après, emportant son secret dans la tombe.
Cette histoire, qui aux yeux de pas mal de pisse-vinaigre – dont ma femme – pourrait passer pour une amourette de gosses pourrait être en fait peut-être bien plus que ça.
J’ai évoqué cette histoire devant trois personnes très différentes, à des années d’intervalle.
Pour deux d’entre elles, au vu de tout ce que j’expose, il y aurait de grandes chances que Marité soit plus que mon tout premier amour. Mais qu’elle soit tout simplement... ma sœur. Ce qui expliquerait qu'on ait été habillés pareil, la réaction de mon père, l'hostilité de la grand-mère, cette sensation de vide intérieur qui ne m’a jamais quitté depuis cette époque.
Cette envie folle de la retrouver.
Je ne le saurai jamais....
18:45 Publié dans beaux moments, ceux que j'aime, moi | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : ma soeur marité
Commentaires
c'est tellement touchant que je te souhaite de tout coeur de la retrouver un jour.
j'ai retrouvé tout à fait fortuitement un vieux copain de classe dans une réception parmi 250 à 300 personnes;A trente mètres sur une pelouse noire de monde,j'ai soudain dit à ma femme "le garçon là-bas c'est Philippe M.,on s'est approché et il m'a regardé et dit "Alain,pas possible" à croire que 40 ans après on n'avait pas trop changé...
Que tu as bien fait de quitter psy,la liste des blogs mis à jour est bloquée depuis une semaine au moins.Passe une bonne soirée.
Écrit par : alain | 19/08/2010
Là-bas, tout est fait pour t'encourager... à partir ! Je sais que beaucoup m'en veulent, des femmes qui me commentaient à tour de bras et qui m'ignorent totalement depuis que je suis ici, mais je tiens le cap.
Merci de ton com.
PS à Strasbourg, le quartier que tu connais est en pleine mutation, ils ont posé les rails de la 6ème ligne de tram !
Écrit par : cica pour Alain | 19/08/2010
C'est vrai que retrouver quelqu'un après tant d'années, ce n'est pas chose facile... Mais aujourd'hui, le web peut beaucoup de choses! Même si je n'affectionne pas particulièrement cet outil, facebook peut-être un moteur puissant pour retrouver quelqu'un, surtout si le nom de la personne n'est pas très répondu (évidemment, chercher un monsieur Martin français, c'est peine perdue)! Si elle n'y est pas elle-même, parfois on peut trouver un cousin, un enfant... Mais ça demande du temps et de la patience, ainsi que beaucoup de courage!
Cette histoire, ça donne vraiment envie que vous vous retrouviez, et que vous fassiez la lumière sur tout ça!
Écrit par : CriCri | 20/08/2010
C'est une anecdote très touchante et je te souhaite de tout coeur de la retrouver !
Écrit par : Fiamella | 20/08/2010
J'ai tout essayé. Même, dans les années 80, ma candidature à "perdu de vue", rejetée. Puis, le 3617 dans les années 90. Avec internet j'ai bien sûr fait des recherches Google mais le nom est tellement courant que je fais chou blanc. Facebook n'a rien donné, Copains d'avant non plus.
Idem mes deux sites de généalogie... Le seul lien était mon père, et c'était trop tard. Trop tard pour avoir une certitude, mais suffisamment tôt pour (vu ses réponses) me plonger dans l'expectative.
Mais depuis déjà quelques années (une bonne vingtaine) je suis persuadé qu'elle est morte (le fameux "deuil"...) très jeune, d'où l'interdiction de lui écrire.
Je vous embrasse.
Écrit par : cica pour Cricri et Fiamella | 20/08/2010
Une belle histoire on a envie qu’elle se termine par des retrouvailles comme dans un comte de fée… bises
Écrit par : manoudanslaforet | 23/08/2010
C'est exactement ça :)))
Bises
Écrit par : Cica pour Manou | 24/08/2010
Pas de retrouvailles, mais le "hasard" (voir la définition d'Einstein !) fera que, 3 ans après avoir écrit cette note, je me retrouverai habiter Toulon puis Sanary, et passer souvent devant le fameux lotissement Peyron quand je ferai mes courses à la Seyne...
Écrit par : Cica | 10/04/2021
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