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29/07/2010

Souvenirs d'enfance : 1956/1957

Ce qui m’attendait cette année-là, c’était la rentrée à la « grande école ». Le mot est du reste prétentieux car cette école était sûrement la plus petite de la capitale, ne comportant en tout et pour tout que 75 élèves répartis dans 6 classes, de la 12ème à la 7ème. Maintenant on dirait du CP1 (qui a été remplacé dans les années 60/70 par la grande classe de maternelle) au CM2.

 

Ces classes ne comprenant que douze ou treize élèves chacune, et le cadre étant un des plus visités de Paris (Place Furstenberg, en face de la maison du peintre Delacroix), le tout situé à 150 m de chez moi, je pouvais me considérer de ce point de vue comme assez verni. Comme Delacroix.

 

Tous les petits parisiens étaient loin de pouvoir se payer une école pareille, et se payer était bien l’expression qui convenait car c’était un établissement privé aux prix très élevés. Théoriquement la «cotisation» était proportionnelle aux revenus de la famille, en bon accord avec les principes religieux de l’école dite « libre ».

En théorie oui, mais pas plus....Pour le premier trimestre mes parents déboursèrent ce qu’ils considéraient le maximum qu’ils pouvaient raisonnablement se permettre, une somme assez coquette pour eux.

 

Je ne le sus pas sur l’instant mais ma mère découvrit ce que pouvait être la « charité chrétienne » pour certaines personnes. A la sortie de la classe, vers 16h30, personne ne lui adressait la parole. Certains regards dédaigneux en disaient plus qu’un long discours... Il faut dire que c’était «l’école du beau monde » : dans ma classe on pouvait trouver le fils d’un antiquaire très coté, qui du reste possédait deux magasins, un à Paris (rue des Saints Pères !) l’autre à Biarritz ...

Egalement le fils du plus gros papetier-libraire du quartier, sans oublier des fils de docteur et j’en passe.

 

Après le silence ce furent quelques réflexions: « Mais vous savez qu’il y a une école communale très très bien rue saint Benoît ?».

 

Oui ma mère savait, mais ça faisait un bon kilomètre de la maison, avec une grande rue à traverser...

Elle jeta l’éponge avant qu’on ne lui propose la soupe populaire, et à partir du second trimestre paya « plein pot ».



Les regards se furent un peu moins commiséreux, on lui parla un petit peu, et même, honneur suprême, je fus admis un jeudi à un « goûter ». C’était justement chez le fils de l’antiquaire, et là je me mis à me demander si je ne rêvais pas.

 

D’abord l’immeuble. Pourtant situé à quinze numéros du mien (moi c’était le 14 et lui le 29) on se serait cru à Monaco....
L’entrée était digne des grands palaces, avec tapis rouge. Au fond, le luxe suprême, l’ascenseur. Un peu vieillot, mais quelle classe !

L’engin était interdit comme il se doit aux «enfants non accompagnés ». Une vieille concierge-cerbère veillait, rien à voir avec la nôtre, Mme Lachesnaye, venue de son Fougères natal après la guerre, et dont le mari me donnait du «fiston» à tour de bras....

 

Je dus donc monter les six étages. Je n’étais pas seul, un des invités m’accompagnait, un garçon qui n’était pas de mon «monde». Je le remarquai assez vite car à peine arrivé au 4ème étage il commença à ahaner comme un soufflet de forge alors que moi j’étais déjà rendu devant la porte. Visiblement il ne devait pas avoir l’habitude de se taper 6 étages dix fois par jour....

 

Entrée chez notre camarade. Je continuais à rêver. D’abord l’odeur, une odeur de meubles anciens, chaude comme justement on peut en trouver chez un antiquaire. Et puis le couloir...interminable ! De chaque côté des pièces et des pièces. C’était Versailles en plus mignon...

 

Mon copain, tout naturellement me fit visiter, et quand nous pénétrâmes dans le salon, un objet retint toute mon attention:
La TELEVISION. Bien sûr, j’en avais déjà vu dans les grands magasins, mais de LA voir ainsi dans une maison, avec autour un cercle de spectateurs, les uns assis, les autres debout, voire carrément par terre, cela me fascinait.

Le cinéma à domicile, en beaucoup plus petit bien sûr, mais le cinéma quand même... C’était l’heure de «Rintintin» , un fameux chien dont tous les quinquas et sexas se souviennent.

Je ne mis pas longtemps à me faire « happer » par la machine, et me retrouvai assis par terre au milieu des autres gamins.  A la fin du feuilleton, ce fut l’heure du goûter, véritable rituel des années 50;  je me sentais de plus en plus mal à l’aise, j’aurais voulu partir mais la lucarne magique me fascinait .

Après le fameux goûter on pouvait jouer à divers jeux de société, moi j’en profitai pour visiter un peu les lieux, ébahi par tant de richesse. Seule la cuisine ressemblait à une cuisine ordinaire  (chez les riches, ma cuisine/couloir avec vasistas et sans eau ne dépassant pas deux mètres carrés je le rappelle) , à un détail près: il y avait une petite porte près de la fenêtre, et je me demandais bien où elle pouvait aboutir.

 

J’étais à l’époque quasiment un obsédé des passages secrets,  des souterrains, des trous en tout genre. Je pensais qu’il y en avait partout, cela étant dû sans doute à ma lecture effrénée du «Club des cinq».

 

Ma patience fut vite récompensée, car la porte s’ouvrit, laissant la place à la «bonne à tout faire».

J’eus le temps d’apercevoir un escalier à l’aspect misérable, encore pire que celui de mon immeuble. Naïvement je demandai à mon jeune hôte de quoi il s’agissait, celui-ci en riant me dit «ben, c’est l’escalier de service !», comme s’il s’était agi d’une évidence.

 

Je n’osai pas demander à quoi il pouvait servir étant donné qu’il y en avait déjà un, doublé d’un ascenseur en plus, mais je l’ appris assez vite et c’est là que je me rendis compte qu’il n’ y avait pas que dans le métro que les deux classes existaient (et même 3 dans le train, car nous on voyageait en troisième).

 

En 2010 cela peut faire sourire mais il aurait été tout à fait incongru à l’époque que des gens de maison empruntassent (c’est joli,ça..) l’ascenseur, de même que la maîtresse de maison aurait eu peur de salir ses escarpins ou de supporter la vue de l’escalier réservé aux livreurs, servantes et autre valetaille.

 

N’empêche, je me promis de l’emprunter un jour, ne serait-ce que pour voir si cela menait bien en bas de l’immeuble, ou alors vers une quelconque destination magique, vers les entrailles de la Terre...

 

(à suivre)

 

Commentaires

bonsoir Cica,j'effectue le changement d'adresse pour ne pas te perdre.Hauetfort c'est la gloire;bises alain

Écrit par : alain | 29/07/2010

Je ne sais pas si c'est la gloire, mais regarde un peu la présentation ! On a l'impression de conduire une Rolls quand on blogue ici. Certes j'ai été lâché par les 3/4 des quelques 20 blogueurs qui me suivaient "là-bas", mais d'abord quelques-uns - dont toi, juste quelqu'un, Julius - sont venus, et d'autres - comme Siam's - sont arrivés d'autres galaxies.
Amitiés sincères.
Pat

Écrit par : Cica pour Alain | 29/07/2010

tu as un vrai talent de narrateur et ton goûter chez le fils de l'antiquaire m' a réjoui.
Oradour;mon père m'y a emmené en 48 ou 49,ce sont des moments qui laissent une empreinte pour toute la vie ,marqué déjà par la mort de mon oncle (j'avais 10 ans,en août 44) tué par les allemands le soir de son mariage.

Écrit par : alain | 29/07/2010

Ces pages ont toute une histoire... Elles ont été écrites entre 2000 et 2003, des "traces" que je laisserais pour quand je ne serais plus de ce monde. A cette époque (début des années 2000) je savais que j'allais essayer de me tuer, et que si j'y arrivais, je voulais qu'on sache pourquoi de A à Z. Par "chance" je ne suis passé à l'acte qu'en février 2003, et j'avais déjà rempli 300 pages.

Sinon, pour en revenir à toi, ça a dû être horrible, de voir Oradour en 48/49, surtout si j'ai bien compris à l'âge de 15 ans, là où les choses vous marquent pour la vie. Je pense que tu as dû te demander "pourquoi ?", et bien sûr ne pas avoir de réponse.

Merci en tout cas de m'avoir suivi, ça fait du bien de voir qu'il y a des gens courageux.
Je t'embrasse.

Patrick

Écrit par : Cica pour Alain | 29/07/2010

Quelle chute fabuleuse ces "entrailles de la terre" .. Ton talent de narrateur m'a happé et je me surprend déjà chaque jour à attendre la suite . L'escalier de service ça me rappelle une chambre de bonne où j'habitais avenue Foch ..au 7 ème étage ..l'ascenseur de service (digne de l'échafaud ou du transport de bestiaux ds les abattoirs) s'arrêtait au 6ème quand il fonctionnait après on montait à pied.. au mieux sous une ampoule nue et blafarde qui pendouillait..au pire à taton ds le noir. Les chambres étaient dispatchées par un couloir qui tournait en rond comme un collier de perles ou une corde de pendu c'est selon ..il y avait bien 30 chambres je pense. Dans certaines vivaient des familles à 4..5..6..ttes nationalités confondues mais principalement philippines. A notre disposition 2 douches communes avec un planning pour les heures de décapage et un seul chiotte mais là sans planning (parce que pas facile de planifier hein :).. !
Ma chambre se trouvait non loin de l'escalier de service mais tt prés des chiottes ..et oui on peut pas avoir ts les avantages non plus !! : 2 m de large / 4 m de long avec une estrade en perspective au bout du lit sur laquelle ils avaient "planté" un bidet qui faisait usage de garde-manger .. un lavabo multifonctions pour la toilette .. pour le linge.. mais qui de temps à autre me servait aussi disons-le à faire d'urgents et acrobatiques pipis quand le chiotte de l'étage affichait complet ! Ouhla..il fallait en avoir des rêves et des projets pour supporter l'exiguïté et la fournaise de l'été sous les toits..hammam assuré ! Inutile de te dire que vu l'espace pas question de s'entraîner au grand écart ! Enfin après ça et tu le sais.. on apprécie pour tjrs et à sa juste valeur d'avoir de l'espace ! ..Plus ça va plus je me dis qu'il faut parfois en avoir été privé pour connaitre la réelle valeur de certaines choses ..

L'hiver 57..Oradour ..combien de catastrophes..de famines ..de massacres nous faudra-t-il encore pour comprendre que tant que l'on n'en a pas tiré certaines leçons ..l'Histoire indéfiniment se répète

Bonne journée Cicatrice
( il doit être lourd à porter ton pseudo non ? Nous nous attribuons parfois délibérément des étiquettes qui finissent par peser sur nos épaules.. un jour décideras-tu peut être de le changer ? ..il n'est jamais trop tard ..jamais )

Écrit par : siams | 30/07/2010

Je ne suis pas de la même génération que toi mais les espaces exigüs j'ai connu ça aussi dans ma prime enfance (en province pour moi). Pendant un an, entre 4 et 5 ans (heureusement), je n'ai même pas eu de lit personnel et c'est au milieu de mes parents que je dormais... je n'ose imaginer comme ça a du être dur pour mes parents... et puis jusqu'à mes huit ans, un lit, mais toujours dans la chambre de mes parents. Et alors, j'ai découvert le luxe : ma chanbre, rien que pour moi et une salle de bains ! Je n'ai jamais oublié l'extase que j'ai ressenti ce jour là (même si à huit ans se laver est le dernier de nos soucis :-))

En tout cas je partage la même nostalgie que toi pour le Club des cinq (premier bouquin pour le Noël de mes 6 ans et première joie vraiment littéraire). J'ai essayé ensuite de faire partager cet engouement à mes enfants, mais le temps était passé par là et ce sont d'autres héros qui ont pris le relais :-)

J'attend la suite de tes aventures avec impatience : à savoir, as-tu pu ou non prendre cette porte ?
Bisous

Écrit par : Fiamella | 30/07/2010

Merci du compliment (entre toi et Alain je vais finir par me prendre pour un écrivain moi!)

En 1974, à cause d'une "connerie" de mes parents, je vais connaître la joie de la chambre de bonne de 4 mètres carrés sans chauffage. On est de toutes façons tous passés par là si on a été étudiant... A l'époque, beaucoup de nationalités aussi, mais les Portugais dominaient nettement.
Comme tu dis, j'avais eu tendance à oublier le manque de confort (relatif, j'ai eu les WC à 21 ans !) et ça m'avait remis les idées bien en place à l'époque.

Sinon pour mon pseudo, il me va comme un gant. J'en suis couvert, et il y a peu encore la dernière ne s'était pas refermée... mais de tout ça j'en parlerai.

Bises

Écrit par : Cica pour Siams | 30/07/2010

Moi aussi j'ai vécu dans la même pièce de mes parents, qui faisait office de salon/salle à manger/chambre à coucher, pendant dix ans et demie. Pour mon père ça a été très dur et je crois que c'est à cause de cette situation qu'il a été "voir ailleurs", sans que ma mère ne proteste trop. Elle comprenait. Quand j'ai eu ma chambre, à 10 ans et demie, ce fut la joie pour tout le monde ! Certes mes parents n'avaient toujours pas de chambre (ils dormaient dans un canapé dans la salle à manger) mais au moins, ils avaient récupéré leur intimité.
Pour la porte tu le sauras bientôt.
Marrant d'ailleurs que mes souvenirs d'enfance intéressent les gens. Quand j'ai entrepris de les raconter, c'était sans illusion, prêt à retirer ma première note si cela n'intéressait pas ! Tant mieux pour moi, j'ai de quoi faire 100 notes !!

Bises

Écrit par : Cica pour Fiam | 30/07/2010

Et tiens au fait.... pourquoi ne te prendrais-tu pas pour un écrivain ? hein ?

Écrit par : siams | 30/07/2010

Parce que je lis beaucoup, et que j'ai la modestie de réaliser que mon style très... scolaire ne pèse pas lourd face à des "grands", comme Patrick Cauvin, que j'adore, ou encore... Pagnol !
Merci quand même du compliment :)

PS : au bac Français, j'ai eu... 6/20 ! "hors sujet". Sujet politique, et nous étions encore sous De Gaulle... No comment !!

Écrit par : Cica pour Siams | 30/07/2010

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