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16/08/2019

15 août 1958 : l'enchantement

Ah mes 15 août ! 

Je peux citer celui de 2012, sanglant pour moi, et qui m'a ouvert les yeux, que je m'obstinais à garder bandés. Je ne pouvais plus vivre comme je vivais.

Celui de 1997 (le plus douloureux) qui fut le jour où je verrai ma mère pour la dernière fois. Et je le savais...

Celui de 1984 où je me suis retrouvé à l'hôpital pour une fièvre inexpliquée et tenace, qui se révèlera être une mononucléose infectieuse.

Celui de 1970 qui verra mon premier baiser. Le plus beau.

Mais comment oublier celui, magique, de 1958 !!!
La mémoire des personnes d'un certain âge est mystérieuse. Surtout celle des Parkinsoniens. Elle enfouit certains souvenirs pourtant récents et fait de temps en temps resurgir des images qu'on croyait à jamais oubliées.


J'étais en vacances dans le Gers, à Gimont comme l'année d'avant. Mes journées étaient réglées comme du papier à musique : En fin de matinée ma mère et moi quittions le petit pavillon que nous louions pour une bouchée de pain à de très braves gens. Puis sous le cagnard nous montions "à l'assaut" de cette petite ville qui nous surplombait de 60 mètres, direction chez des cousins assez éloignés généalogiquement mais très proches par le coeur.
Déjeuner chez eux, une "tablée" d'au moins sept personnes, parfois 15, qui débordait alors jusque dans leur garage.
L'après-midi partie de cartes, de monopoly ou sieste pour les parents, jeu pour les enfants. J'avais deux cousins un peu plus âgés que moi, Bernard et Gilles, qui ne rechignaient pas à jouer avec le gamin de sept ans que j'étais.
Puis quand le cagnard devenait un peu moins rude (ça cogne là-bas l'été) descente vers le pavillon où ma mère et moi prenions un dîner plutôt frugal.
Parfois il y avait des orages, qui finissaient "rock n roll", je le raconte ici.

Le matin du 15 août 1958 ma mère me réveilla un peu plus tôt que d'habitude, vers les 7h. Elle était toute émoustillée, habillée comme si c'était un dimanche. Dehors attendait une énorme voiture, qui comptait quatre rangées de passagers. Un taxi. Notre logeuse et leur fils Francis y prirent place avec nous. 
"où c'est qu'on va ? demandai-je un peu affolé.
- On va à Lourdes mon chéri, me répondit ma mère, tu verras c'est très beau.
- C'est loin ?
- Un peu."

En fait 120 km. Excité d'aller voir ce Lourdes dont j'avais tellement entendu parler. La grotte miraculeuse, Bernadette Soubirous, la Sainte Vierge qui était apparue, comme je l'avais appris au "caté".
Au bout d'un moment (qui me parut très long), on s'arrêta.

"On est arrivés ? demandai-je
- Non, c'est "Les Puntous" !

On descendit, on monta sur une espèce de butte, et arrivés au sommet, le choc !
300 km de Pyrénées s'étalaient devant nous ! Je n'avais encore jamais vu de montagne, et j'étais émerveillé.

On remonte dans le taxi, et là je vois peu à peu les montagnes s'approcher. C'est au pied que l'on s'arrêta.
Au bord d'un torrent impétueux. 
Notre petite troupe descendit, et on franchit le pont. 

Un autre monde. Une rue uniquement bordée par des magasins d'articles religieux. Ma mère acheta dans l'un d'eux cinq ou six gourdes plastique en forme de statues de la Vierge. La grande rue aboutissait à un parc, dans lequel nous entrâmes. Ce parc était dominé par une immense basilique, plus grande à mes yeux que le Sacré-Coeur, au pied de laquelle montaient deux escaliers immenses. Nous la contournâmes par la droite et là je La vis.

La Grotte Miraculeuse dont j’avais tant entendu parler.
A dire vrai je fus un peu déçu car je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus grand. Mais je fus vite saisi par l’ambiance particulière de ce lieu. La statue de la Vierge était au fond, entourée de béquilles et de cannes. sur les parois était inscrit ces mots :  SOY-ERA-IMMACULATA COUNCEPTIOU.
On fit une bonne demi-heure de queue avant de pouvoir pénétrer dedans et pouvoir toucher le rocher, ce geste qui avait fait jaillir la source miraculeuse.
Puis on alla remplir nos gourdes avec de l'eau jaillissant de petites fontaines, semblables à celles de Paris dans les squares et jardins.

Il était déjà plus de midi, et on alla pique-niquer au bord de la rivière, près d'un restaurant qui me faisait très envie. On me le dira longtemps, j'ai trépigné et même hurlé car je voulais manger dedans ! 

Puis on reprit le taxi pour sortir de la ville, et s'arrêter à une gare de funiculaire. J'avais déjà pris celui de Montmartre qui vous hisse de 62 mètres en 30 secondes. Celui-ci avait le même aspect, sauf que.... je n'en voyais pas le bout !

Il montait au Pic du Jer, un petit sommet culminant à 951 mètres, mais qui pour moi représentait le Mont-Blanc.
Et en avant pour la montée.
Rien à voir avec Montmartre ! C'était 10 fois plus haut (540 m de dénivelé) et 10 fois plus long.
10 fois plus beau aussi pour le petit Parigot que j'étais, déjà blasé par le spectacle Montmartrois, que des gens font pourtant dix mille kilomètres pour aller admirer.
D'en haut, panorama époustouflant. D'un côté, la plaine, à perte de vue. De l'autre, les montagnes toutes proches, dont certaines étaient encore enneigées. Je le rappelle on était en 1958, époque où il y avait encore "les neiges éternelles". Epoque où 35 degrés à Paris était exceptionnel... On était loin d'imaginer huit degrés de plus !

Le plus beau restait à venir : La retraite aux flambeaux. Nous devions être des dizaines de milliers ce soir-là, centenaire de l'apparition. Chacun un flambeau à la main, qui représentait la Sainte Vierge et Bernadette. A la nuit tombée le spectacle devint franchement féerique: une ceinture lumineuse de plusieurs kilomètres autour de la Basilique, une ceinture dont nous faisions partie, une ceinture humaine qui chantait Ave Ave Ave Maria, Ave Ave Ave Mari-i-a. C’était si beau que j’ai pleuré tout le long. Toutes ces voix dans la nuit, féérique.

Hélas tout a une fin, et c’est vers onze heures du soir que nous reprîmes notre taxi. Je m’endormis instantanément et je ne me réveillai que le lendemain matin dans notre petit pavillon.
Un instant je me demandai si je n’avais pas rêvé.
Mais, posé sur la cheminée, le flambeau à moitié consumé me certifia que tout était bien arrivé.

Quatre ans et demie plus tard, à l'âge de douze ans, je me porterai volontaire pour y faire un pélerinage organisé par le lycée.

Je vous embrasse.

Commentaires

Patrick, mais comment fait tu pour te rappeler de tout ça, et tu le narres avec une extraordinaire précision, c'est comme si on étais avec toi.

Écrit par : boixiere | 16/08/2019

tu es un fabuleux narrateur.

Écrit par : boixiere | 16/08/2019

Merci Patrick pour ce très beau récit, j'ai souvent remarqué aussi personnellement que notre mémoire liée à l'enfance reste imprimée à jamais dans notre esprit. Durant mes vacances dans la Drôme pour échapper aux fortes chaleurs je suis allé avec ma femme passer deux jours au sanctuaire ND de la Salette, dans les montagnes près de Corps en Isère, que l'on soit croyant ou non c'est un lieu idéal à la fois pour marcher, se ressourcer et y trouver paix, beauté et sérénité. Amitiés à tous, Renaud.

Écrit par : Renaud | 17/08/2019

Merci Michel du compliment, surtout venant d'un (bon) auteur :))
Je l'ai écrit au début : "La mémoire des personnes d'un certain âge est mystérieuse. Surtout celle des Parkinsoniens. Elle enfouit certains souvenirs pourtant récents et fait de temps en temps resurgir des images qu'on croyait à jamais oubliées."
Ainsi, alors que j'étais incollable pour les dates des chansons dans les années 80/90, à présent ça devient flou, sauf bien sûr pour celles accompagnant un souvenir précis.
Bonne journée.

Écrit par : Cica pour Boixière | 17/08/2019

Fabuleux récit! Émouvant dans le sens du sacré, aussi; émerveillé je suis, une fois de plus par ton écriture!
Merci Patrick. Cédric

Écrit par : Cédric | 17/08/2019

La Salette, j'y suis monté en 1976, dans le cadre.... du boulot ! En effet les religieux y tenaient (doivent toujours tenir) une station météo bénévole. Je travaillais à l'époque au centre météo de l'Isère, à St Etienne de St Geoirs, le pays de Mandrin.
J'étais frappé de voir qu'en été il y fait souvent 20 degrés de moins qu'à Grenoble !

Écrit par : Cica pour Renaud | 17/08/2019

Merci Cédric. Il faut savoir tirer profit de toutes choses, et si ma maladie fait que je tape environ 3 fois moins vite qu'avant sur le clavier (comme l'explique très bien Catherine Laborde dans son livre "trembler"), en revanche certains vieux souvenirs remontent très nettement à la surface, et là je m'empresse de les écrire (tant que je peux encore le faire....)
Si, en 2013, j'ai dû orienter mon blog dans le sens "chansons" pour diverses - et opposées - raisons, je n'oublie pas que je l'ai commencé en racontant ma vie.
Et je pense que je vais à nouveau laisser autant de place à "Cica se raconte" qu'à "Cica-chansons", surtout si c'est apprécié.
Amitiés.

Écrit par : Cica pour Cédric | 17/08/2019

semaine chargée , entre les enterrements nombreux ici après canicule et un copain gros collectionneur qui m'a prêté 30 albums à écouter mais je vous lis quand même entre temps . bien sur que c'est toujours très bien raconté même si je préfère Patrick le yéyé où Patrick le rocker . la religion ce n'est vraiment pas ma tasse de thé , pourtant jusqu'à ma communion ma mère et mes grands-parents maternelles ont tout essayé ! je passe sur Lourdes et son commerce , là aussi j'ai du leur résister pour ne pas y aller mais j'avais un soutien de poids ... mon père . amitiés à tous . Jean

Écrit par : jean | 19/08/2019

Les commentaires sont fermés.